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Quartier proche
11 juin 2005

Yvon s'écarta pour me laisser entrer. Je pénétrai

 

Yvon s'écarta pour me laisser entrer. Je pénétrai dans un petit couloir sombre qui sentait le renfermé. Mon oncle ferma la porte et me fit signe d'avancer jusqu'à la cuisine. Il était en caleçon et t-shirt et venait probablement de se réveiller d'une sieste.
"Tu veux un café ?
- Non merci, je veux bien un verre d'eau par contre."
Yvon rinça un verre et le remplit au robinet.


La décoration et l'ameublement étaient spartiates. Sa femme avait visiblement emporté une grande partie des meubles et Yvon avait dû récupérer quelques vieilleries chez des amis. Je me rappelai que mes parents lui avaient donné une table qui traînait au grenier. Sans être rutilante, la maison était assez propre et plutôt bien rangée.

Yvon s'assit face à moi et ouvrit une canette de bière.
"Qu'est-ce qui t'amène, Laurent ? Ça me fait plaisir que tu viennes me voir.
- Ça faisait longtemps que j'étais pas venu ici, hein ?... Comme on s'est croisé ce matin et qu'on a pas vraiment eu le temps de discuter, je me suis dit que je pouvais passer te voir.
- T'as bien fait."

Une fois de plus, je fus frappé par sa ressemblance avec mon père, qui devenait de plus en plus évidente avec les années. Je bus une gorgée d'eau et reposai mon verre sur la table en formica.
"Nicolas est venu me parler tout à l'heure. Tu nous a vus d'ailleurs, tu as klaxonné en passant...
- Oui oui, je me rappelle."
Yvon me regardait attentivement. Ses petits yeux noirs perçaient de son visage en lame de couteau.
"Il m'a dit plein de trucs bizarres, je n'ai pas vraiment écouté au début... tu sais, je commence à penser qu'il est pas vraiment... comment dire... très équilibré.
- Non, c'est sûr, il est pas tout à fait fini ce garçon."
Je dévisageai mon oncle avec stupéfaction.
"Pas fini ?
- Oui, enfin c'est une façon de parler. Il a de gros problèmes depuis la mort de son père, il est suivi par un psychologue. Mais je te l'ai déjà dit, il est pas méchant. Il est juste impulsif et maladroit.
- Ça, je m'en suis rendu compte, merci... mais je pense que c'est un peu plus grave que ça. Il m'a fait de drôles de coups, tu sais... enfin, c'est pas vraiment de ça que je voulais te parler. Quand tu es passé en voiture ce matin, tout d'un coup il m'a dit, mais sans préciser s'il parlait de toi, que je devais me méfier de mes proches, de ma famille. Que tout n'était peut-être pas aussi "bien" que je pouvais le croire. Ce qui m'a fait réagir, c'est qu'il ait dit ça en te voyant."

Yvon devenait visiblement nerveux. Il finit sa canette d'une traîte et se leva pour en prendre une autre dans le réfrigérateur.
"Ce que j'ai trouvé vraiment bizarre, c'est qu'il m'a dit d'en parler à ma mère. Qu'elle saurait m'expliquer."
Tenant la porte ouverte de sa main droite, mon oncle s'était immobilisé. J'observai son dos, guettant la moindre réaction. Il finit par attraper une canette et refermer le frigo, mais resta encore quelques secondes de dos devant la porte fermée.
Il était livide quand il se retourna pour venir se rasseoir.
"Je ne sais pas de quoi il se mêle, cet abruti.
- Je ne le sais pas non plus, mais j'aimerais bien savoir s'il parle en l'air tout simplement parce qu'il est dérangé et cherche à attirer l'attention, ou s'il est vraiment au courant de choses que je ne sais pas... et comme il me semble que tu le connais un peu, je me suis dit que la deuxième solution était peut-être vraie."
Yvon décapsula nerveusement sa bouteille avec son briquet et but une longue gorgée.

"Oui."

Il reposa la bouteille. Je me figeai.

" Oui, il est au courant de choses que tu ne sais pas."

Ses mains tremblaient. Je sentais que mon oncle était tiraillé entre l'envie de parler sans retenue et la colère de ne pouvoir le faire, de devoir se taire pour une obscure raison. Je percevais aussi une sourde colère contre Nicolas, mais son envie de parler semblait prendre le dessus.

"Des choses qui me concernent ?
- Oui.
- Graves ?
- Oui... oui et non...
- Qui te concernent aussi ?"
Mon oncle baissa les yeux.
"Oui."

Les multiples possibilités qui s'offraient soudain à mon imagination tissaient devant mes yeux une toile inextricable et délirante dans laquelle j'entrevoyais les situations les plus complexes et les plus sordides.

"Parles-en à ta mère, moi je ne peux pas. Vraiment. Je suis désolé, Laurent, je peux pas."

J'allumai une cigarette et en tendis une à Yvon, qui releva enfin les yeux mais en prenant soin de fuir mon regard au plus vite.
Nous restâmes ainsi un long moment sans parler. De le voir ainsi, j'avais presque envie de le serrer dans mes bras, simplement pour le remercier d'avoir au moins osé répondre à mes questions, même si je n'avais rien appris de concret. Pour le consoler aussi, car je sentais soudain qu'une détresse sans nom l'habitait. Je sentais en lui à la fois le soulagement et la peur.

La peur, qui commençait à poindre en moi aussi. Diffuse, elle semblait voiler mon ciel d'une menace incertaine dont je ne savais d'où elle viendrait. Ce mot simple, ce "oui" répété trois fois, ouvrait dans mon esprit trop de chemins pour que je puisse tenter de trouver celui par lequel viendrait la réponse que j'attendais.
Offert à tous ces possibles, à la croisée de ces chemins, je me sentais cerné.

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Commentaires
D
haaa les secrets de famille...
P
La suite, la suite, ...
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