Je pouvais très bien avoir mal vu, et peut-être
Je pouvais très bien avoir mal vu, et
peut-être mon imagination allait-elle bien trop vite. La faible flamme
émise par mon briquet avait été très brève, et ce visage aurait pu être
n'importe lequel.
Je regardai s'éloigner la petite voiture qui
emmenait Nicolas et sa mère. J'essayai de m'imaginer quelle pouvait
être leur vie et me la représentai spontanément de façon un peu
misérable. J'imaginais les vaches à nourrir et à soigner, j'imaginais
la cuisine sombre, ces grandes cuisines typiques des fermes de la
région, je la voyais emplie de mouches dans la torpeur de l'été. Une
odeur de purin, des caquètements dans la cour. Je frissonnai.
J'enfourchai
mon vélo et filai à travers les champs. Quelques voitures me doublèrent
encore, certainement d'autres ouvriers qui rentraient chez eux après
leur matinée de travail, puis je me retrouvai seul sur la route.
J'eus
la sensation soudaine d'avoir déjà vécu cet instant. Certes, je faisais
ce trajet tous les jours de la semaine, mais cette fois-ci, ce n'était
plus la même route. Je revis la lumière aveuglante de ce samedi matin
où je partais rejoindre Olivier, ce matin de septembre où j'avais
disparu dans la lumière blanche, avançant d'un rythme assuré vers le
soleil. Je n'avais trouvé au bout de cette route que la désolation. Les
mois qui avaient suivi étaient effacés de ma vie, rayés, gommés.
Et
en ce lundi matin de juillet, vers quoi étais-je en train de me diriger
? La même lumière, le même silence autour. Et des appréhensions,
soudain.
Je bifurquai pour me rendre au village où avait habité Olivier. La ferme de Nicolas et de sa mère se situait à la sortie du village.