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Quartier proche
18 juin 2005

Elle était au salon, dans une semi-obscurité due

 

Elle était au salon, dans une semi-obscurité due aux volets fermés. Assise sur le canapé, elle feuilletait de vieux albums de photos qu'elle avait retrouvés en faisant les cartons. Sur la table basse, quelques photos éparpillées nous montraient tous les trois, dans des lieux dont je n'avais aucun souvenir.

Ma mère leva les yeux.
"Oui. Je t'écoute."
Je m'assis dans le fauteuil qui faisait face au canapé. Je respirai un grand coup. Je n'avais rien préparé, ne savais par où commencer.
"Je... il s'est passé beaucoup de choses ces dernières semaines, et... enfin... voilà, j'ai parlé à Yvon l'autre jour et il m'a dit que tu étais au courant de choses que lui ne pouvait pas me dire, et qu'il fallait que je t'en parle. Voilà."

Sa réaction fut à peine perceptible. Les paupières légèrement baissées, elle semblait s'y attendre depuis longtemps. Même s'il n'était pas visible, ou parasité par l'appréhension, son soulagement était palpable.

"Laurent... tu as raison, ça ne pouvait plus durer longtemps comme ça... ton père et moi avons cherché à te protéger le plus longtemps possible. Mais tu es en droit de savoir la vérité maintenant. C'est difficile pour moi, je te le dis.
Mais je vais tout te raconter, aussi sincèrement que je le peux, pour que tu puisses comprendre, ou si tu ne comprends pas tout de suite, que tu puisses le comprendre plus tard peut-être.
Quand j'ai rencontré ton père, il y a vingt ans, je n'avais jamais connu d'autre homme. J'avais bien eu quelques flirts, comme on disait à l'époque, mais rien de sérieux, rien de durable. J'attendais un peu l'homme idéal qui viendrait me sortir de ma petite vie d'étudiante bien rangée. J'ai donc rencontré ton père, mais ça on te l'a déjà raconté, dans les bureaux de l'université où il travaillait pour financer ses études. Il avait vingt-cinq ans, achevait des études de droit et s'occupait d'une association d'étudiants qui organisait des sorties culturelles, et à laquelle je m'étais inscrite. Moi, à vingt-deux ans, je passais ma maîtrise et envisageais de devenir prof.
Nous nous sommes donc revus régulièrement, lors de nos sorties au cinéma ou au musée, jusqu'au jour où l'association a réussi à organiser un voyage d'une journée à Paris pour la fin de l'année. C'est dans le bus, pendant le trajet du retour, que ton père et moi..., enfin, c'est là qu'il m'a embrassée pour la première fois.
Nous avons donc continué de nous revoir, une fois l'année terminée, et ton père m'a invitée à venir passer quelques jours chez ses parents, dans la ferme que tu as connue étant petit, celle de tes grands-parents.
C'était presque trois ans avant ta naissance. Moi qui n'était jamais sortie de ma petite ville, je découvrais la campagne. Je suis restée une semaine chez eux. Les parents de papa étaient très gentils avec moi, et j'ai fait connaissance avec ses frères et sœurs. Ta tante Françoise, qui avait deux ans de plus que lui, qui est morte très jeune et dont tu ne te rappelles certainement pas, et Yvon. Yvon était bien plus jeune que ton père, il avait à peine dix-sept ans à l'époque, sa naissance n'avait pas vraiment été désirée et il était un peu le "bon à rien" de la maison. Avec moi, il était toujours très gentil, il me faisait rire.
Deux ans plus tard, ton père et moi avons pris cet appartement en ville, où nous t'avons emmené une fois. Mon père m'avait fait embaucher au collège privé de la ville, comme secrétaire en attendant de pouvoir peut-être y enseigner, et ton père était rentré dans l'étude de notaires où il a travaillé jusqu'il y a dix ans, tu ne t'en souviens peut-être pas.
On était très heureux tous les deux. On avait eu beaucoup de chance : lui de pouvoir faire ces études alors qu'il venait de la campagne, moi parce que mon père avait des relations bien placées dont il me faisait bénéficier.
On allait régulièrement rendre visite à mes parents et aux siens. Dans sa famille, ton père passait vraiment pour celui qui avait réussi, tu sais, même si son père lui reprochait sans le dire d'avoir quitté la ferme. On était toujours accueillis à bras ouverts. Mes parents l'aimaient bien aussi, bref tout allait pour le mieux."

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Commentaires
S
Malgré l’obscurité qui s’était encore resserrée autour de nous, ma mère m’apparut subitement lasse, désireuse de marquer un temps d’arrêt entre cette longue introduction somme toute assez anodine et une suite qui s’annonçait infiniment plus douloureuse. Les coudes sur les genoux, le visage baissé, fixant sans la voir la photo qu’elle n’avait cessé de tourner et de retourner entre ses doigts, elle semblait se concentrer et rassembler ses forces avant d’aborder l’épreuve décisive. Alors que je tendais la main vers la lampe qui se dressait dans l’angle, entre le canapé et le fauteuil, elle m’arrêta d’une voix douce :<br /> « Laisse, c’est bien comme ça. »<br /> Désireux de prolonger la pause, je me levai pour aller chercher mes cigarettes sur la cheminée. Au moment où j’allais craquer l’allumette, ma mère me dit :<br /> « Donne m’en une, tiens. »<br /> Pensant avoir mal entendu, je lui tendis néanmoins le paquet. Jamais je n’avais vu ma mère fumer. Après avoir lentement reposé la photo qu’elle tenait encore, elle leva son visage vers moi, prit une cigarette et me dit d’un air où se mêlaient gêne et défi : « Juste une. Tu sais, à l’époque dont je te parle, je fumais encore, oh, pas beaucoup, une après les repas, quelques-unes de plus quand nous sortions le soir entre amis. C’est ton père qui m’a demandé d’arrêter peu avant notre mariage. Il estimait qu’une jeune femme « bien » ne devait pas fumer. Lui n’en a pas moins continué, mais cela ne m’a pas gênée. »<br /> Je tendis à ma mère l’allumette enflammée et elle aspira longuement la fumée, curieuse, après tant d’années, de retrouver cette sensation et, j’imaginais, les souvenirs qui y étaient associés. Au bout de deux ou trois bouffées, elle se carra plus confortablement dans les coussins du canapé et me dit :<br /> « Si tu veux, tu peux allumer, ça ne me gêne plus maintenant. »<br /> Je tirai la cordelette de l’interrupteur et nous nous trouvâmes baignés d’une lumière très douce, mais qui me sembla presque agressive et me fit ciller après ces longues minutes passées dans la pénombre. La lampe, légèrement en retrait par rapport au canapé, éclairait le visage de ma mère par le côté, et cette lumière rasante faisait impitoyablement ressortir les moindres détails, accentuant les fines pattes-d’oie au coin des yeux, les rides d’amertume qui encadraient la bouche de deux profonds sillons. J’eus soudain, et avec une acuité presque douloureuse, l’impression de voir ma mère comme jamais je ne l’avais vue, comme une femme marquée par la vie, prématurément vieillie et ployant sous un fardeau bien trop lourd pour elle.<br /> Après avoir écrasé sa cigarette, consumée jusqu’à l’extrême limite du filtre, d’une main qui ne tremblait pas, ma mère prit une profonde inspiration et laissa tomber dans un souffle :<br /> « Je continue ? »
M
mardi? non non non je fais appel! mais dites vous tous qui postez, révoltez - vous, il cherche notre mort là! et par cette chaleur en plus... ;)
S
La suite...! C'est fait, je deviens une inconditionnelle de ton roman ;-)<br /> Biz <br /> @ la suite !<br /> Shakti
P
Mardi !!! Il y a eu des révolutions pour moins que cela !!!
F
Oups, j'ai oublié d'enlever le "papi" d'un commentaire laissé chez Monsieur Andesmas... ben tiens, papi Pierre-Jean, demande-lui donc ce que je livre à mes lecteurs professionnels :p<br /> <br /> mijie : tiens, un verre d'eau pour tenir jusqu'à mardi :)
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