Ce soir-là, justement, mon père rentra à la
Ce soir-là, justement, mon père rentra à la maison assez tôt.
Nous
mangeâmes tous les trois au salon, sur la grande table dressée
soigneusement par ma mère. La baie vitrée, grande ouverte, laissait
entrer l'air chaud de ce début de soirée, aussi lumineux que si nous
étions en plein après-midi.
Je racontai à mon père comment s'était passée ma première journée de travail.
"Tu as vu Yvon ?
- Je l'ai juste croisé, il travaillait en journée aujourd'hui. Il prenait son poste au moment où je quittais le mien.
- Bien...
- Pourquoi ?
- Comme ça... je préfèrerais que tu évites de lui parler quand tu le verras là-bas... il est un peu... bizarre, tu sais...
- Comment ça ?
- Oh, tu le connais, il raconte souvent des bêtises. Enfin, fais comme tu veux, tu n'es pas obligé de le croire après tout !"
Je
trouvais étrange que mon père cherche à m'éloigner de son frère,
d'autant plus que c'était grâce à ce dernier que j'avais pu trouver ce
poste, mais je rapprochai cette forme de mise en garde des relations
houleuses qui liaient les deux hommes et du fait qu'Yvon ait emprunté
autant d'argent à mon père.
Il me semblait finalement que mon père
portait sur son frère le même regard que le mien : il le prenait pour
un homme encore trop instable et inconséquent qui abusait bien souvent
des largesses que mon père pouvait lui accorder. Je comprenais aussi
que mon père cède à ses demandes par solidarité fraternelle, même s'il
s'en agaçait et que cette situation entraînait quelquefois certaines
tensions.
Simplement, je pensais parfois que mon père pourrait bien
remettre mon oncle en place de temps à autre pour l'inciter à prendre
enfin toutes ses responsabilités. Mais je laissai mon père seul juge de
cette histoire dont je pensai sincèrement, même en ayant un avis
tranché sur la question, qu'elle ne me concernait pas.