Nicolas
"Comment tu t'appelles ?"
C'est ainsi que Nicolas m'avait abordé. Ou plutôt, c'est ainsi qu'il avait essayé d'engager la conversation.
J'ignore combien de fois il avait dû prononcer cette question avant que je ne réagisse.
Croyant
avoir entendu une voix au milieu du vacarme régnant, je levai
rapidement les yeux et me rendis compte que le jeune homme qui
travaillait en face de moi me parlait. Je fronçai les sourcils pour lui
faire comprendre que je ne l'entendais pas. Sous son casque, ses yeux
me scrutaient avec attention, et il continuait d'accomplir son travail
avec une évidente habitude. Quant à moi, je dus baisser le regard
aussitôt pour poursuivre le mien.
Durant tout le reste de la
matinée, je levai régulièrement les yeux et à chaque fois, son regard
était posé sur moi. Il semblait protecteur plus que curieux,
attentionné plus que malsain, et j'éprouvais à chaque fois une étrange
sensation qui me poussait à immédiatement me concentrer sur mon travail
pour me ressaisir.
"Comment tu t'appelles ?"
Je ne compris la
question qu'une fois hors de l'atelier, après avoir retiré les bouchons
de mes oreilles, alors que nous marchions vers le parking.
"Laurent.
- Tu travailles ici depuis quand ?
- Début juillet, deux semaines à peu près. Je suis toujours de matinée.
- Ah, c'est pour ça que je ne t'avais jamais vu. Moi c'est Nicolas."
Sa
silhouette ne m'était pas inconnue. Peut-être avait-il étudié dans le
même lycée que moi. Il semblait un peu plus âgé, de deux ou trois ans
environ.
"Bon, ben mon vélo est là. À demain ?
- Oui, à demain, je fais encore deux matinées avec toi, puis je passe à l'équipe d'après-midi."
J'enfourchai mon vélo et m'éloignai rapidement, sans même savoir comment Nicolas repartait chez lui.
Arrivé à la maison, je pris ma douche fraîche, désormais une habitude après deux semaines de travail.
Le
fait d'occuper ainsi mes journées m'apportait un contentement tout à
fait contradictoire ; lorsque je travaillais, je ne pensais absolument
plus à rien et ne pouvais me concentrer que sur mes gestes, devenus
presque des réflexes mécaniques. Une fois à la maison, la fatigue
physique intense qui m'enveloppait m'empêchait d'entreprendre toute
activité physique, et seule la lecture pouvait encore occuper mon
esprit. Je me sentais d'un côté complètement apathique et coupé du
monde, mais de l'autre, mon imagination et ma sensibilité avaient
rarement été exacerbées à ce point par mes nombreuses et voraces
lectures. Ces dispositions, à mon grand étonnement, m'empêchaient de
penser trop souvent à Olivier, comme je l'avais craint au début de
l'été. Et lorsque je pensais à lui, c'était plus avec tendresse qu'avec
douleur. Il m'accompagnait plus qu'il ne me hantait.
Même s'il avait laissé béant le trou du pourquoi, cette question que je n'osais pas aborder.