Nicolas était plus grand que moi, massif et
Nicolas était plus grand que moi, massif
et quelque peu pataud dans sa démarche. Il pouvait facilement être
assimilé au cliché du "gars du Nord" gentil mais pas très fin,
serviable mais un peu bête. Son accent prononcé et son parler très
direct confortaient encore cette image et contribuaient à me le rendre
sympathique.
Les trois jours où il travaillait en matinée, nous
avions pris l'habitude de fumer une cigarette devant l'atelier avant de
commencer le travail, et il me raccompagnait toujours jusqu'à mon vélo
avant de rejoindre, comme je l'appris un peu plus tard, sa mère qui
l'attendait en voiture devant le portail de l'usine.
Il avait grandi
et habitait encore dans le village où habitait Olivier. Il vivait seul
avec sa mère, et je compris que son père devait être décédé quelques
années auparavant.
Depuis la disparition d'Olivier, je n'avais
jamais remis les pieds dans ce village. Sa mère m'avait appelé une
fois, je n'avais pas répondu en voyant son numéro s'afficher, et avais
écouté son message. Elle m'invitait à passer la voir si jamais j'en
éprouvais l'envie et m'assurait que cela lui ferait très plaisir. Je ne
lui avais jamais répondu.
Un matin, alors que j'étais concentré
sur les bouteilles qui défilaient devant moi, ne pensant à rien d'autre
qu'à mon travail, je sentis une vague de fatigue envahir soudainement
mes yeux. Le perpétuel mouvement des bouteilles, auquel devait
correspondre un incessant mouvement oculaire de va-et-vient, me fit
tout à coup tourner la tête, très brièvement. Une sorte de vertige
fugace me prit, et je levai rapidement les yeux pour rompre ce
mouvement. Nicolas me regardait, il me sourit. Je tentai de reprendre
pied mais la tête me tournait toujours, de plus belle. Le bruit
assourdissant du verre contribuait lui aussi à accentuer mon malaise, ainsi que la chaleur ambiante, étouffante.
Le sourire de Nicolas se figea et je lus dans ses yeux une soudaine
inquiétude. Les bouteilles s'accumulaient devant nous, l'une d'entre
elles se brisa, je tombai brutalement en arrière.