Ce fut une impression étrange. Matthieu et moi,
Ce fut une impression étrange. Matthieu
et moi, tout ensommeillés et encore désireux de la chaleur du corps de
l'autre, prîmes chacun notre vélo pour partir sur la route dans la
campagne endormie. Nos chemins se séparaient à quelques centaines de
mètres à peine après la sortie du village, lui se dirigeant vers la
ville et moi vers la verrerie.
Nous nous arrêtâmes au croisement
encore désert et nous embrassâmes au milieu de cette vaste étendue de
champs mornes. Trois petits mots chuchotés dans le creux de l'oreille.
Je repris la route le cœur serré, me retournant régulièrement jusqu'à voir disparaître sa silhouette au loin.
L'air était frais, annonçant la fin de l'été.
J'attachai
mon vélo sur le parking et avisai Nicolas qui se dirigeait vers
l'atelier. Je ralentis le pas pour ne pas me retrouver à sa hauteur et
entrai dans l'atelier juste après lui. Le même regard sombre sous son
casque, inexpressif.
Tête baissée dans le travail, nous étions
partis pour huit heures de plus. La matinée du lendemain serait la
dernière matinée de Nicolas avant mon départ, puisqu'il reprenait
ensuite avec l'équipe d'après-midi. Je souhaitais que ces seize heures
se passent au plus vite pour enfin le voir disparaître de ma vie.
Je
sentais que bien des choses allaient changer pour moi, et qu'il en
était en partie responsable. Et sans même connaître encore la teneur de
ces changements, je lui en voulais déjà.
Je le souhaitais hors de ma
vie. J'avais déjà assez de mal à y trouver ma propre place pour le
laisser empiéter sur mon terrain et y retourner le sol.
Le
lendemain, au changement d'équipe de treize heures, je fis mine de me
diriger vers les toilettes pour laisser Nicolas partir avant moi. Je ne
voulais pas qu'il vienne me retrouver sur le parking et attendis donc
cinq bonnes minutes pour m'assurer qu'il fût parti. Une fois dehors, je
courus vers mon vélo et le détachai fébrilement en me retournant de
temps à autre.
Je pris la route en pédalant de toutes mes forces. Je
roulais à perdre haleine, comme si je fuyais Nicolas et sa présence
menaçante, comme si je sentais encore dans mon dos son souffle rauque
qui tentait de me retenir.
Arrivé à la maison, je ne pus retenir
mes larmes. Matthieu était là et m'attendait. Il fut certainement
surpris par mes pleurs soudains, dictés par le soulagement, la surprise
et la joie de le trouver chez moi à ce moment précis.
Simplement, il me serra longuement dans ses bras sans
chercher à comprendre la raison de mes larmes.